Stacks Image 40951
octobre 2014
978-2-84809-237-9
15 x 20 cm
72 pages

13 €






Existence amont
Alain Roger
« Alors – Saint-Nazaire – je l’aime d’un amour secret.
En partie contrarié, forcément. Et si la poésie était venue
à propos ? Nouvelle hypothèse. Pour voler au secours du lieu si souvent blâmé. La poésie armant le super-héros qui va sauver sa ville. Inconsciemment, il y a peut-être un peu de cela. Chercher des mots et des couleurs pour enluminer le tableau pâlichon d’une ville à la remorque de son port, ses chantiers, ses milliers d’ouvriers, et s’ils sont bien choisis, ces mots pourraient alors convaincre d’autres que moi. » A. R.


Alain Roger est né en 1966. Il a passé son enfance et son adolescence à Saint-Nazaire et y revient régulièrement.
Il enseigne aujourd'hui les arts plastiques au lycée des métiers de l'horticulture et du paysage à Montreuil, se partageant entre peinture et écriture.
La lecture de Jean-Louis Violeau

Saint-Nazaire : quitter la ville ?

Puisqu’il s’agit d’une note de lecture, je vais choisir la partialité, être un peu sommaire et même réducteur, sans doute. Il y a en effet à mon sens trois types de « Nazairiens ». Ceux qui disent « j’adôre Saint-Nazaire » sur un joli ton hésitant entre l’amour et la compassion mais qui prennent bien garde d’y habiter, lui préférant généralement les charmes de La Baule – puisque cette ville ne se comprend pas sans sa voisine. Il y a ceux qui y ont habité et puis qui l’ont quittée, contraints par les prix de l’immobilier notamment dans sa partie ouest, et souvent à la recherche d’une maison. Ceux-là n’ont guère d’avis, au fond, sur Saint-Nazaire. Régulièrement, ils y travaillent. Et puis enfin, il y a ceux qui y résident. Alain Roger est, lui, parti après y avoir grandi, mais parti loin, à Montreuil où il enseigne les arts plastiques au lycée des métiers de l’horticulture et du paysage.

« Situation idéale, écrit-il mais c’est à propos de la ville, purement théorique s’agissant de Saint-Nazaire, ville étale aux confins d’un estuaire dont la remuante largeur a toujours eu le dernier mot. » Et surtout « projetée d’un jet dans sa totalité », par « un prix de Rome pourtant ! qui a pondu cette cité pas présentable pour un sou en dépit des bonnes intentions. » Ville coiffée en brosse, ajouterais-je sur un ton plus prosaïque, qui n’avait qu’un building et une base pour dépasser la toise du R+4. « Parlez-moi de Nantes, de La Baule, ou même de Saint-Marc (merci Tati). Dites la Brière, la Loire, l’Atlantique. Tout ce qui l’entoure. La ville est cernée : autour abondent les images, les mots qui légendent. Légions. Tandis qu’elle. Au milieu, encalminée dans la pâleur. Creuse en apparence. Paysage en creux. » Nous y sommes. Mais le creux, ça résonne ?

Pour convier l’enfance, bien sûr, et mieux renvoyer aux perceptions mêlées aux affects, à cette « fausse grisaille éclairée par-dessous, bleuie, teinte dont je suis tenté de dire qu’elle serait typiquement nazairienne. » Une enfance aimantée par le pont-levant qui orne la couverture du livre – et qui est en panne cet automne. Sa perspective ouvre vers le port où « c’est toute la ville alors qui accoste ». On l’aura compris, ce récit sensible d’une enfance nazairienne est une ode mitigée à une ville trop embrassée pour être franchement bien aimée. L’importance du dessin préalable finira-t-elle par s’y estomper ? Sur Ville-port et autour de la Base, « en tout cas, rien ne surgit, de ce que les discours promettent, ou voudraient que je voie ». « J’ai peur que Saint-Nazaire se soit lancé à la poursuite d’un spectre. »

Amoureux de Bob et du reggae, Alain Roger dit pourtant ne jamais avoir ressenti, comme Marius, l’appel du large. Il n’a jamais souhaité quitter la ville, et pourtant chaque printemps, ses parents enseignants déjà émettaient rituellement leurs vœux de mutation, Nantes ou Rennes, « les vœux restés pieux, du coup
On est restés et c’est moi qui suis parti le premier. » Une situation de déclassement, mais par le haut, intimement ressentie par l’auteur dans cette ville conçue pour les ouvriers, « souvent briérons », alors que ses parents préfèrent se lier avec des enseignants, cadres aux chantiers ou médecins, des « tenants du goût bourgeois […] votant socialiste pour la plupart, du moins est-ce la tendance qui transpire au travers des conversations qui animent l’assemblée des esthètes en mal de beauté ».

Alain Roger a écrit un beau petit livre qui sur 70 pages n’est pour le coup ni sommaire ni réducteur. Parfois expéditif, mais c’est pour la bonne cause, pour y revenir, à la ville, dans sa naturalité comme dans sa toponymie, « quelle que soit la taille dans laquelle il est typographié, si le nom de Saint-Nazaire figure dans un texte à la surface duquel mon regard glisse, qu’il s’agisse de la page d’un livre, d’un article de magazine, je le repère à coup sûr ! » La forme d’une ville se donne à distance. Si la MEET est encore debout, la Coop, le disquaire de l’avenue Albert-de-Mun, l’école Carnot et le Batillus, cette ville n’est plus ; même si Saint-Nazaire demeure, dans sa « facticité » même, celle du béton qui désespérément cherche à imiter la pierre, celle d’un port de mer le « regard perdu dans le vague de l’horizon briéron ». Amour contrarié entre Méséglise et Guermantes. Alain Roger « admire les mascarons de la rue Kervégan tout en fredonnant Slave Diver ». n


Jean-Louis Violeau, Place publique #48, novembre 2104